|
Un rock racé et incandescent !
Allez savoir pourquoi, lorsqu’on est
journaliste, on s’attache souvent aux détails et donc
aux pochettes de disques. Je sais, c’est un peu con et aussi
trés puéril. Encore que. Enfin quand je dis : “Allez
savoir pourquoi”, à la réflexion, on sait en
fait tout à fait pourquoi ! Les pochettes ont un double,
voire même un triple intérêt pour les observateurs
obsessionnels que nous sommes : elles nous renseignent objectivement
tout autant que subliminalement sur un individu ou un groupe d’individus
et elles définissent esthétiquement un projet. Excusez
du peu. Des plaisirs d’ailleurs en passe de devenir coupables
en cette époque de “downloads” et autres “peer-to-peer”
anonymes. Lunatic Age doit une partie de sa reconnaissance à
l’une de ces pochettes psychanalytiquement disséquées.
Celle de Miranda, le premier ‘vrai’ EP du groupe (en
quoi ? 2000 ? 2001 ?, ça passe si vite.). Après Sous
X deux ans auparavant, Miranda avait donc d’abord attiré
notre attention par sa pochette. Elle nous avait particulièrement…
émus. Oui, “émus“ ; ou plutôt “troublés“
; à défaut d’autre mot plus approprié
pour rendre compte d’une émotion d’autant plus
complexe qu’elle était intense. Jugez plutôt
: un escalier qui finit dans la pénombre, une fille assise,
deux longues jambes élégantes, pas de visage, un corps
mince et vaguement lascif, une robe floue : tout cela en disait
beaucoup symboliquement sur le groupe et sur sa musique. Mais aussi
très peu finalement. Qui étaient ces musiciens qui
avait le bon goût de sortir un album à la pochette
(verte ou sépia) aussi efficace qu’inhabituelle ? (Montpellier
? Comment çà, Montpellier ?) Qui étaient ces
types qui de surcroît faisaient fusionner avec un égal
bonheur les héritages croisés (et sacrément
ambitieux) de Tool et de New Order, de Depeche Mode et de Cocteau
Twins; et qui mélangeait avec une autorité rarement
rencontrée par ici le metal le plus abrasif et la pop la
plus savante. D’évidence, Lunatic Age avait pléthore
de « parrains » putatifs mais ne se nourrissait pas
pour autant de ces filiations, ne s’y référait
pas en permanence comme si seule lui importait la marque qu’il
était capable de laisser lui-même. C’est ce qui
nous plût tant chez Lunatic Age, cette impérieuse mission
qu’il s’était fixé ; et puis son humilité
aussi qui lui permettait toutes les audaces et l’autorisait
à relever tous les défis.
Mais ce qui signait l’incomparable et l’impeccable réussite
de Miranda, c’était sa foi, son engagement ; des valeurs
sous-tendues par le total don de lui-même dont ce groupe nous
faisait offrande. A l’époque, emballés, on avait
craché par terre et on s’était promis de ne
pas oublier Lunatic Age le moment venu.
Nous y sommes.
2004. Lunatic Age a le bon goût de trouver le juste titre
: Peau Neuve. Tu parles. Plus qu’un constat, une invitation.
La mue comme partie intégrante de l’évolution
musicale. Mieux, comme socle de cette évolution. Gageure.
Pari. Ambition. En premier lieu, les textes. Eux, tellement nourris
de références anglo-saxonnes, ils ont écrit
en français. Avec richesse, maîtrise et talent. Ensuite,
la musique. Le groupe continue de labourer son sillon mais avec
plus de cohérence et d’à propos qu’auparavant.
Les mélodies sont plus élaborées, plus sophistiquées
mais dans le même temps, Lunatic Age a appris les vertus du
“Less Is More” et offre désormais une vision
édulcorée de son travail. Comme toujours dans ces
cas-là, l’efficacité y gagne ce que la confusion
y a perdu. Bref, Lunatic Age est une belle machine dont Peau Neuve
va constituer pour un moment le fuel idéal. Oui, une machine.
Une machine affûtée, rigoureusement au point, parfaitement
réglée (allez donc les voir sur scène pour
— dans l’ordre que vous voudrez — prendre une
claque dans la gueule et aussi une leçon de modernité)
; mais avant tout une machine à fabriquer des sensations
et des émotions, c’est là le plus important.
Lunatic Age est exactement ce qui manquait au rock d’ici.
Yves Bongarçon
LUNATIC
AGE
Peau Neuve
AT(h)OME - 2004
sorti en édition digipack
« Un peu comme si le Noir Désir de
Tostaky croisait la route d’un Placebo
aux discrètes pulsions metal. » Rock One
|